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« À une époque, le problème était principalement financier, mais aujourd'hui nous en sommes au-delà »


Publié le Mardi 26 Juillet 2022 à 12:03

Plus de deux ans après le début de la crise sanitaire, la situation reste toujours tendue dans les EHPAD français, avec des pénuries d’effectifs qui s’exacerbent chaque jour un peu plus. Face à ces difficultés qui perturbent le fonctionnement des établissements, nombreux sont ceux qui appellent à un changement « global », comme nous l’explique Clémence Lacour, responsable des relations institutionnelles de la Fédération Nationale Avenir et Qualité de Vie des Personnes Âgées (FNAQPA).


Clémence Lacour, responsable des relations institutionnelles de la FNAQPA. ©DR
Clémence Lacour, responsable des relations institutionnelles de la FNAQPA. ©DR
Vous êtes régulièrement en contact avec les adhérents de la FNAQPA pour faire le lien avec les pouvoirs publics. Quelles sont les remontées actuelles en matière de ressources humaines ?
Clémence Lacour : Partout, il est fait état de tensions importantes. On peut même parler de crise des ressources humaines, que je qualifierai d’inédite. La pandémie a amplifié une situation déjà problématique, et qui concerne tous les établissements. Beaucoup fonctionnent d’ailleurs en mode dégradé : ils n'ont pas le personnel qu'ils estiment suffisant pour accompagner les résidents avec la qualité souhaitée. Certains ont même fait le choix de geler leurs entrées pour diminuer le nombre de personnes accompagnées. C’est une situation totalement paradoxale, où les établissements qui n’ont plus assez d'effectifs sont obligés de réduire leurs activités, et où ils risquent de voir leur dotation diminuer en raison de cette baisse. Si ces coupes budgétaires n’ont pour l’instant pas été appliquées en raison de la crise sanitaire, la vigilance est aujourd’hui de mise : le lien entre tarification et activité engendre une situation absurde qu’il faut absolument traiter.

La pénurie d’effectifs est-elle uniquement due à un manque de financement ?
À une époque, le problème était principalement financier, mais aujourd'hui nous en sommes au-delà. La désertification est un enjeu majeur, notamment pour les postes d’aides-soignants et d’infirmiers. Mais ce ne sont pas les seuls métiers concernés, les tensions peuvent aussi toucher d’autres professions, comme dans les cuisines des établissements. Et ce n'est pas propre au mode médico-social, tous les secteurs sont touchés. Les remontées des gestionnaires d’EHPAD sont édifiantes. Alors que dix ans auparavant, ils déclaraient embaucher quelqu’un « parce qu’il me plaît », aujourd’hui ils s’en tiennent seulement aux personnes « avec le bon diplôme ». C’est un réel changement qui s’est opéré sur les dix dernières années.

Quelles sont selon vous les raisons de ce manque d’attractivité ?
Comme je le disais, cette situation particulière concerne de nombreux secteurs. Pour le médico-social, beaucoup de facteurs sont impliqués dans l’attractivité. Nous avons vu, avec le Ségur de la santé, que le salaire en est un, mais ce n’est pas le seul. Il faut également aborder les thématiques du sens donné au travail, de l'autonomie des salariés, ou encore de la qualité de vie au travail (QVT). Ces points sont très fortement malmenés par les circonstances actuelles, le manque d’agents entraînant immanquablement une hausse d’activité pour les salariés en place. La QVT et le sens donné au travail en sont donc dégradés, au point d’en devenir parfois mauvais. Quant à l'autonomie des salariés, c'est aussi un point sur lequel nous devons travailler pour favoriser l’attractivité ainsi que la qualité de l’accompagnement. Comme évoqué dans le rapport remis en début d’année par Denis Piveteau, il y a un vrai lien à faire entre attractivité et autodétermination. Pour qu’une personne puisse accompagner quelqu’un à être autonome, elle doit l’être également.

Justement, quelles mesures prendre pour favoriser cette attractivité ?
Suite au scandale Orpéa et à l’appel de la ministre Brigitte Bourguignon, la FNAQPA a rendu en février 2022 une contribution abordant notamment cette thématique. Plusieurs solutions y étaient proposées, et en premier lieu le financement de l’intégralité du Ségur de la santé dans tous les établissements. Le Ségur a permis une revalorisation nécessaire des salaires mais, alors que les pouvoirs publics s’étaient engagés à la financer intégralement, force est de constater que cela n’est pas le cas. Une partie non négligeable des établissements n’a pas reçu la totalité de l’enveloppe qui leur permettra d’assurer ces revalorisations. Ce point est d’ailleurs évoqué dans une lettre ouverte que nous avons publiée en juin dernier avec l’AD-PA. Car il s’agit d’une réelle problématique pour de nombreux établissements, qui sont alors obligés de puiser dans leur trésorerie, de supprimer des postes, voire de ne pas appliquer les revalorisations. C'est une autre situation absurde, où un accord d'attractivité des métiers engendre des fermetures de poste.

Quelles sont les autres propositions portées par la FNAQPA ?
Comme nous l’avons évoqué, l'augmentation des salaires ne répond qu’à une partie des paramètres influant sur l’attractivité. Afin d’améliorer la QVT des personnes en place, nous proposons donc de renforcer les équipes avec d’autres profils. Ces personnes, les établissements médico-sociaux peuvent les former en interne pour accomplir des tâches chronophages, mais qui nécessitent moins de qualifications. Des tâches qui requièrent un savoir-être, par exemple, et pas forcément un diplôme spécifique. En renforçant ces postes, mais aussi en engageant des animateurs et des psychologues, les équipes soignantes disposeront de plus de temps pour se concentrer sur leur cœur de métier. Plus sereines, elles seront aussi plus à même d’offrir un accompagnement de qualité. La QVT et le sens donné au travail en seront améliorés. Demandée par la FNAQPA et l’AD-PA, l’embauche immédiate de deux salariés supplémentaires dans chaque établissement est une mesure rapide qui aurait donc un impact fort dès les premiers jours de sa mise en place. 

Quelles mesures prendre à plus long terme ?
La FNAQPA mise beaucoup sur l'approche domiciliaire. C'est un changement de paradigme total. Indispensables, le soin et la gestion de risques y retrouveraient leur place, pour que le volet social ne passe plus au second plan. Une personne ne peut exprimer complètement sa pleine citoyenneté qu’à domicile, dans un lieu dont elle a le contrôle. Il faut donc réussir à intégrer cette logique domiciliaire en établissement. Nous devons réfléchir ici à un cadre propice à l’exercice des droits liés à la citoyenneté. Un cadre renforçant l’autonomie et favorisant l'accompagnement, plutôt que la prise en charge, paraît donc plus souhaitable. Équilibre soin-social, rupture de l’isolement, préservation de l’autonomie… Tout est lié, et il faut réussir, sur le long terme, à changer d'approche pour redonner du sens au travail des professionnels.

Article publié dans le numéro de juillet d'Ehpadia à consulter ici



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